La maison de Jésus a-t-elle été retrouvée ?

Il y a quelques semaines, une grande nouvelle est apparue sur le Web : la maison de Jésus aurait (peut-être ou certainement suivant les articles) été retrouvée à Nazareth ! Quelques liens parmi d’autres :

Tout est parti d’un article publié dans le numéro de Mars-Avril de la Biblical Archeology Review (« BAR » pour les intimes, l’équivalent américain du « Monde de la Bible »). Etant abonné à la BAR, j’ai donc fait ce que doit faire tout exégète lorsqu’il en a la possibilité : retourner au texte original et confronter les sources. 🙂

Que raconte cet article ?

L’auteur est un archéologue anglais, le Dr Ken Dark, qui présente toutes les garanties de sérieux : thèse en archéologie obtenue à Cambridge, professeur à Oxford, Cambridge et Reading, directeur de recherche en antiquité tardive et byzantine à l’université de Reading.

Depuis 2006, il effectue des fouilles en Galilée, plus particulièrement dans la vallée de Nahal Zuppori qui relie Nazareth à l’ancienne ville romaine de Sepphoris située à environ 10 km. Il s’est aussi intéressé au Couvent des Sœurs de Nazareth, situé quasiment en face de la Basilique de l’Annonciation. L’article ne précise pas clairement s’il y a effectué des fouilles ou s’il s’est contenté de visiter le site et d’y consulter les notes laissées par ses prédécesseurs.

L’histoire archéologique de ce site débute dans les années 1880 par la découverte accidentelle de salles aménagées souterraines à l’occasion des travaux de construction du couvent. Depuis cette époque, les sœurs ont effectué épisodiquement des fouilles « artisanales », parfois avec l’aide de leurs élèves. Certains des artefacts recueillis (poteries, verres, pièces de monnaie…) sont regroupés dans un petit musée local et couvrent une période allant de l’occupation romaine jusqu’à la période byzantine. A l’occasion de la construction d’un nouveau bâtiment, les soeurs ont retrouvé les restes d’une basilique construite à l’époque byzantine puis remaniée à l’époque des croisades. A partir des années 1940, le père jésuite Henri Senès a effectué une cartographie complète du lieu et quelques fouilles rudimentaires qu’il n’a malheureusement jamais eu le temps de publier.

En son état actuel, outre les restes de la basilique byzantine, le site comprend deux tombes d’époque romaine et les restes d’une construction associant murs creusés dans la falaise de calcaire et murs de pierre. Des tessons de céramique de type « Kefar-Hanaya » (le nom d’un village à proximité de Nazareth fabriquant des céramiques à l’époque de Jésus) ont été retrouvés sur place ainsi que des restes probables de vaisselle en calcaire (donc pure selon les rites juifs).

Les traces de construction dessinent le plan typique d’une maison galiléenne à cour interne, identique à celle retrouvée à proximité de la Basilique de l’Annonciation. Selon l’auteur, la présence d’une tombe d’époque romaine qui « coupe » la maison indique que la construction de celle-ci est antérieure à celle de la tombe, la piété juive interdisant de construire une habitation sur un lieu de sépulture. L’auteur estime donc que cette maison puisse être contemporaine de Jésus.

La basilique byzantine « enchâssait » les restes de cette maison et les sous-sols ont été couverts de mosaïques, ce qui atteste un culte chrétien ancien. Autre élément : le témoignage d’un pèlerin chrétien du VIIIème siècle, l’évêque gallois Arculf. Il décrit la maison de Jésus comme étant située entre deux tombes et sous une église, ce qui correspond assez bien aux vestiges archéologiques actuels.

L’auteur conclut toutefois de façon très prudente en indiquant que

« Est-ce la maison dans laquelle Jésus a grandi ? Il est impossible de l’affirmer sur des bases archéologiques. D’un autre côté, il n’y a aucune bonne raison archéologique de réfuter totalement cette possibilité. Ce que nous pouvons dire, c’est que ce bâtiment était probablement situé à l’endroit où les constructeurs de l’église Byzantine pensaient que Jésus avait passé son enfance à Nazareth. »

Que faut-il en penser ?

L’article de la BAR n’apporte aucune information archéologique réellement nouvelle par rapport à celles connues depuis les années 1920. Le site a déjà été très bien décrit dans 2 articles du Monde de la Bible publiés respectivement en 1980 (n°16 – J.B. Livio) et en 1995 (n°90 – F. Diez-Fernandez) que l’on peut retrouver dans les 2 tomes « La Terre Sainte – Cinquante and d’archéologie » des éditions Bayard. La possibilité que cette maison soit celle dans laquelle Jésus ait vécu y est longuement discutée et le « non » semblait s’imposer.

Les éléments avancés par le Dr Dark me semblent archéologiquement douteux :

  • Les tessons de céramique ont été recueillis sur un sol archéologiquement « souillé » : le site a été inondé par les eaux de ruissellement qui ont déposé plusieurs mètres de boue à certains endroits et fouillé en dépit du bon sens depuis des dizaines d’années; la stratigraphie en a été totalement perturbée. Dans ces conditions impossible de s’appuyer sur la découverte d’un artefact pour effectuer une quelconque datation;
  • La source littéraire est loin d’être fiable : l’abbé irlandais Adammanus a décrit le site dans son livre « De Locus Sancti » (« A propos des Lieux Saints », un des premiers guides touristiques de la Palestine :-)) en recueillant le témoignage oral de l’évêque gallois Arculf qu’il aurait sauvé de la noyade. Saint Jérôme évoque bien une église de la Nutrition bâtie à l’endroit où Jésus aurait vécu, mais sans en donner la moindre description. En dehors de ces 2 références littéraires, rien.

La conclusion du Dr Dark est en mode « P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non ». Rappelons que les Normands ont envahi l’Angleterre en 1066, ceci explique peut-être cela. 🙂

Le sérieux et la compétence du chercheur ne font aucun doute mais je trouve son article « vide » et symptomatique de la recherche actuelle : la course à la publication, parfois pour ne rien dire, parfois au détriment de la rigueur. Attendons les prochaines nouvelles et espérons qu’elles seront plus abouties.

Quant aux autres journaux, beaucoup n’ont fait que reprendre en cœur l’information en choisissant des titres plus ou moins alléchants et en faisant souvent dire au pauvre Dr Ken Dark ce qu’il n’a pas écrit.

A mon sens, la partie la plus intéressante de l’article est celle dont personne ne parle : les fouilles effectuées par l’auteur entre Nazareth et Sepphoris. Elles montrent l’existence d’une « ligne de démarcation » à partir de laquelle on ne retrouve plus que de la vaisselle en calcaire et plus d’artefacts d’origine romaine. Cela accréditerait la thèse d’un Nazareth, bastion « juif intégriste » à proximité du monde romain et validerait l’hypothèse sur l’origine du nom « Nazareth » discutée lors du dernier article.

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